Fausse naïveté

Processus

Fausse naïveté


Je ne sais pas de quoi parle mon travail.
L'exercice des critiques a ceci d'agréable, c'est que les autres en parlent pour moi.
Le terme "fausse naïveté" est apparu lors de l'une des premières critiques de cette année. Cela m'a soulagée de l'entendre, au delà du fait que naïf peut signifier bête, et que fausse naïveté peut signifier que mon travail ne l'est pas réellement, quand j'ai entendu "fausse naïveté", j'ai senti que je séduisais. J'ai donc cherché ce qui avait pu donner cette impression.
  1. L'accrochage, faisait penser à une chambre d'adolescent.
  2. La technique de dessin, le bic 4 couleurs est plus simple à recevoir qu'une palette de peinture.
  3. Le bic et le papier donnent une impression de fraîcheur.
  4. Les petits formats, le fait que je me dessine, le papier et le bic, ces éléments font penser au carnet intime.
Bien sûr que je crée pour être vue, mais pour faire j'ai besoin de l'oublier. Si je me posais la question, je réaliserais que je n'ai aucune raison de peindre ou de dessiner. Pour faire je dois oublier les autres, j'ai besoin de jouer toute seule. Quand je peins ou je dessine, monsieur, je ne pense pas . Alors peut-être que dans fausse naïve, il y aurait une méthode qui consiste à l'être réellement pendant qu'on fait, puis à ne plus l'être quand on présente ce que l'on a fait, ça me va.
Ça me va, ce que j'ai produit je l'ai produit simplement, avec plaisir, sans m'arracher. Si c'est reçu parfait! Je continue.
J'aime lire une interview de Wolfgan Tillmans où il dit que l'un des moteurs de son œuvre est le plaisir, ça me soulage :
WT: But they are photographic in pleasure.
GB: What?!
WT: They’re great pleasures for me. They’re a fascinating phenomenon that I take great pleasure in.
GB: That can’t be all there is.
WT: But it is!
GB: All of this can’t be that insubstantial.

Dialogue extrait du blog :Reve2, Emprunté au site de Gil Blank
Jusqu'au dernier jour de l'accrochage pour la présentation au jury j'ai continué de produire, je n'étais plus enceinte, je pouvais donc à nouveau attaquer des grands formats.
Entre autres, j'ai repris une peinture que j'ai tracée au vidéo projecteur, sans choix. Quand on trace au vidéo-projecteur il n'y a pas un trait plus appuyé que l'autre, tout est lié, il n'y a aucune conscience de ce que l'on est en train de dessiner, on occupe tout l'espace. On suit l'image sans se poser de question, la direction du trait c'est l'image projetée.
La reproduction était tracée sur trois papiers, j'ai donné celui de la tête à remplir à ma fille de trois ans. J'ai choisi des craies grasses, nous avons travaillé dans sa chambre, sans que je la dirige, elle sentait l'enjeu, elle a colorié la tête, sans réaliser que c'était une tête alors que je lui avait dit. J'étais contente du résultat, je l'ai exposée, c'est la dernière œuvre de mon année de dessin. C'est ce dessin qui donnait le sens de mon accrochage, j'avais la sensation que c'était une sorte de cartographie, une mise à plat, comme un territoire pas encore conquis, vierge. Le coloriage de la tête, me rappelait, dans les cartes d'explorateurs, les océans, les mers, les petites parties déjà découvertes.
Le directeur de l'école, en passant voir les travaux, a choisi d'exposer ce dessin lors des journées portes ouvertes, il l'a placé à l'entrée de l'école.
Je me demande aujourd'hui si ce qui a séduit ceux qui ont aimé ce tableau, n'est pas le fait qu'on n'y sente pas l'effort de l'auteur, dans ce cas la fausse naïveté servirait le propos en court-circuitant les différences auteur/spectateur.
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